Lignes de vie

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© Maude White

Première rencontre avec Mme Credo, petite femme menue aux mains frêles et aux cheveux tenus par des barrettes d'un autre temps. Long moment à l'écouter me parler de ses douleurs et de son envie de partir pour de bon, elle qui est revenue une fois de là-haut, après avoir été déclarée morte durant 36 minutes.
Des vies, en plus d'avoir vu la sienne lui échapper pour finalement lui revenir, elle en a sauvé quelques unes. A croire que les gens venaient dans son hôtel pour flirter avec la mort. Elle en a retrouvé plus d'un, in extremis. Tentatives de suicide, crises cardiaques, disputes conjugales... elle était toujours là au bon endroit et au bon moment, pour les arracher à leur funeste destin. Elle aurait aimé pouvoir sauver celle de son fils, mais on ne lui a pas accordé.

Madame Credo souffre dans ce corps noueux, elle libère un flot de paroles algiques dans un monologue opaque. Elle est sourde comme un pot et ne voit plus grand chose que les lumières de la vie et les ombres de la nuit.

Je l'écoute, longuement. Observant les plis de sa robe recouvrant ses petits genoux de gamine, son chemisier de flanelle aux motifs pastels, ses doigts de soie fins et fripés. "Merci, me dit-elle, merci de m'avoir écoutée. Grand-Père vous aidera ! "
Ses yeux cherchent quelque chose. "Donnez-moi votre main ! "
Je lui tends ma main droite. "NON ! La gauche ", dit-elle avec autorité.

Elle parcourt de ses doigts frêles les sillons de ma main. Son regard plonge dans ses pensées...
"Vous avez une bonne vie. Vous n'avez jamais été gravement malade, et vous ne le serez jamais. Vous allez vivre longtemps, très longtemps ma pauvre ! Vous êtes mariée. Vous avez deux enfant. Pas plus ! Deux. D'abord, un garçon... Il est malin ! Et intelligent... très intelligent ! Il a de la colère aussi... Mais il réussira, il ira très loin. Vous avez aussi une fille, mignonne, adorable. Elle est plus calme. Vous aussi vous êtes calme, vous ressemblez à votre fille, alors que votre mari tient du garçon. Votre mari, il a du caractère mais c'est un homme bon. Il est bien là où il est, il est bien considéré ! Il montera dans son travail, il est bien... Vous, vous ne dites pas grand chose, mais... Vous allez grimper, 2016 est une année riche, et 2017, janvier 2017... vous aurez beaucoup de choses..."
Elle lâche ma main. 

- C'est mon Grand-Père qui m'a appris ça, j'avais 12 ans.
Elle retourne dans son silence. Mon corps s'élance vers le sien, je l'embrasse. "Merci, merci du fond du cœur ! ", lui-dis-je dans l'oreille.
- Ah oui, c'est derrière le rideau, là-bas !, répond-elle à la manière de Tryphon Tournesol.

Je prends ses mains dans les miennes, un temps. Et je lui souris de tout mon être.
Une petite lumière vient briller dans le bleu de ses yeux.

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