Aujourd’hui, Madame Tendresse a saisi mon bras, l’a passé autour de son
cou pour que je l’enlace, puis a posé sa tête tout contre moi. Madame
Élégance, qui pense vivre dans un hôtel cinq étoiles, m’a demandé de
m’asseoir près d’elle pour m’apprendre à jouer au bridge. Madame
Détresse, cherchant désespérément son frère, a souri lorsque je l’ai
invitée à danser, puis a ri de tous ses yeux lorsque nous avons fait
quelques pas de tango. Madame Palabre m’a raconté quatre fois qu’elle
avait travaillé à la Samaritaine, tandis que son amie, Madame Austère,
lui chuchotait régulièrement à l’oreille que j’étais vraiment une belle
fille. Monsieur Distingué s’est illuminé lorsque je lui ai rappelé sa
passion pour le violon. Madame Détresse a finalement oublié son frère et
a entonné la Java bleue avec enthousiasme. Madame Mano, ancienne
couturière chez Dior, aux doigts déformés par l'arthrose, m'a remerciée
chaleureusement lorsque je lui ai rappelé que nous allions bientôt
coudre ensemble avec une grosse aiguille à laine. Madame Tendresse m’a
demandé de la biser sur la joue, puis sur l’autre, sans oublier de biser
sa voisine qui en avait elle aussi bien besoin. Monsieur Bricolage a
déménagé une table et une chaise, puis a embrassé la tête de Madame
Élégance, qui l’a invité à s’asseoir à la table pour faire un bridge.
Madame Palabre a demandé trois fois si nous allions dîner ce soir,
inquiète de voir à la fenêtre le voile sombre de la nuit qui vient.
Madame Tempo s’est déplacée toute la journée en dansant, entraînant avec
elle les soignantes amusées. Madame Colère a eu une grande discussion
incompréhensible mais néanmoins très affectueuse avec Madame Tendresse,
qui l’a sensiblement apaisée par son regard bleu océan et son
incommensurable gentillesse. Madame Sourire a égayé la journée de sa
belle dentition blanc-éclatant. Madame Palabre a trouvé que ça papotait
sec, dans le petit salon du fond, elle qui ne peut s'empêcher de tout
commenter. Monsieur Doux a appelé plusieurs fois sa maman, de sa voix de
petit garçon aimant, puis m’a expliqué que ses parents étaient toujours
là, à ses côtés. Toujours.
Madame Discrète, enfin, a tout écouté, tout observé, a haussé les sourcils, les épaules, a souri, a fait la moue. Cachée derrière de lourdes lunettes, appuyée sur sa grande canne gravée de son nom, elle a assisté au spectacle poétique, parfois absurde, empreint d'amour et d'humanité, de la vie en "unité Alzheimer"...
Madame Discrète, enfin, a tout écouté, tout observé, a haussé les sourcils, les épaules, a souri, a fait la moue. Cachée derrière de lourdes lunettes, appuyée sur sa grande canne gravée de son nom, elle a assisté au spectacle poétique, parfois absurde, empreint d'amour et d'humanité, de la vie en "unité Alzheimer"...
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