9.05.2014

Viens, je t'emmène

Bobi+Bobi

L’ascenseur me conduit au troisième étage. Les portes s’ouvrent sur le salon éclairé par un beau soleil d’été, dans lequel vivotent deux trois frêles dames, engoncées dans de gros fauteuils de mousse et de fer. Au centre, errant à la recherche d’elle-ne-sait-quoi, Madame Solitude tourne comme un poisson dans un bocal. Le silence semble assourdissant, l’absence de vie insupportable. 

Le bruit métallique des portes de l’ascenseur brise la monotonie de l’étage. Quelqu’un arrive ! Enfin ! Madame Solitude s’approche de moi, me tend ses mains de soie. « Je ne sais pas où je vais », me dit-elle en m’emmenant vers le couloir. Elle s’agrippe à mon bras puis m’embarque doucement dans sa chambre. Nous nous asseyons, elle se met alors à ouvrir les vannes de son cœur, lourd de solitude et d’ennui. « C’est difficile de se sentir chez soi quand il n’y a pas un système mis en place ensemble… C’est un peu mortel ». Elle ne se sent pas à sa place, parmi ces « jeunes », qui passent leur temps à ne rien faire dans ce salon sans vie. « Maintenant, je me rends compte que je suis une vraie vieille dame », ajoute-t-elle.  A travers ses mots et ses silences appuyés j’entrevois un gouffre de tristesse. Il me semble à certains moments être en communion avec ses pensées, ressentir le vide, et la peur de voir son identité s’effacer avec le temps. Nous passons un long moment, toutes les deux, dans le calme de son presque chez-elle, habillé de photos de famille qu’elle ne regarde plus.

« Je ne sais plus quel âge j’ai. Je crois que je suis en fin de vie… Je n’ai plus l’espoir de rien. »
Elle pose avec tendresse son regard sur mes cheveux, mon visage, mon corps… « Vous êtes jolie, et vous êtes belle… C’est rare de rencontrer quelqu’un qui prend le temps de s’arrêter pour parler… […] Vous devez penser que je suis folle ! Je perds la… la… c’est difficile… je l’ai perdue au vol ! J’espère que vous l’avez perdue aussi. »

Après un long échange, elle se lève, ouvre avec peine le tiroir de sa commode qu’elle fouille avec détermination. Entre de vieilles paperasses et des feuilles de serviettes en papier, trône une madeleine dodue, brillante, emballée dans un plastique. Elle s’en saisit, comme si elle avait déniché un trésor, et me tend cette madeleine, symbole du souvenir, en guise de remerciement pour ce temps que j’ai bien voulu lui offrir.

« Mais au fait… Pourquoi êtes-vous venue me voir ? », me lance-t-elle.
- Je suis venue au salon du troisième étage, vous étiez-là, et vous m’avez emmenée avec vous. Je crois que vous aviez besoin de parler…
- Oui, c’est vrai. J’avais beaucoup de choses à dire. Je ne sais pas pourquoi, je me sens bien avec vous… Je fais avec vous comme à une amie. »

Nous nous quittons, nous serrons la main, et je sens en elle l’affection débordante d’une femme en mal d’amour. Elle semble hésiter à m’enlacer, puis attrape mon bras pour m’accompagner à l’ascenseur qui m’avait conduit jusqu’à elle.

Nous nous séparons, ses yeux paraissent plus lumineux…
« Revenez me voir quand vous voulez… Vous, vous savez où je suis ! »

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